Nés en pleine nature ou dans la rue, le surf, l’escalade, le breaking et le skateboard ont été choisis comme sports additionnels pour les Jeux olympiques de Paris 2024. Si trois d’entre eux ont déjà vécu l’expérience des JO à Tokyo en 2021, le breaking sera le seul à faire ses premiers pas à Paris. Tous ont, en revanche, un point commun : faire partie de ce que l’on appelle les « nouveaux sports », qui attirent un public jeune et qui collent aux formats des réseaux sociaux. C’est pour rajeunir son public et offrir aux spectateurs du monde entier des disciplines plus spectaculaires visuellement que le Comité international olympique (CIO) les a choisis, sur proposition des comités d’organisation. Le CIO a d’ailleurs confirmé l’inclusion du skateboard, du surf et de l’escalade dans le programme initial des Jeux de Los Angeles en 2028 aux côtés des 28 disciplines permanentes.
A quelques mois des Jeux de Paris, ces quatre nouveaux sports se sentent déjà emportés par les valeurs de l’olympisme, du moins en partie. « Pour la pratique de compétition, oui, le surf fait désormais partie intégrante des Jeux. On se met vraiment dans ce moule avec une cellule haute performance qui est en charge des Jeux olympiques ainsi qu’une professionnalisation de la discipline. Mais pour beaucoup de clubs, chez les amateurs, on est encore sur les origines, loin des JO », constate Jacques Lajuncomme, le président de la Fédération française de surf.
« Un choc des cultures »
Si les fédérations de surf et d’escalade ont œuvré en coulisse pendant plusieurs années pour rejoindre la famille olympique, le breaking et le skateboard y sont d’abord allés à reculons. Car si, aujourd’hui, l’esprit olympique est bien là, la marche n’a pas été simple à franchir. « Au départ, le breaking ne voulait pas devenir une discipline olympique. La volonté venait du CIO », rappelle Abdel Mustapha, l’entraîneur en chef de l’équipe de France de breaking.
« Les Jeux olympiques de la jeunesse en 2018 [compétition qui permet de tester de potentielles futures disciplines olympiques] ont effacé les inquiétudes car ils ont montré que la discipline n’était pas dénaturée. Et que les valeurs et les codes de notre sport étaient conservés. »
Abdel Mustapha, entraîneur en chef de l’équipe de France de breaking
Danis Civil, alias b-boy Dany Dann, lors des quarts de finale de la Red Bull BC One, sur le court Philippe-Chatrier à Roland-Garros, à Paris, le 21 octobre 2023. (MARTIN LELIEVRE / AFP)
Le skateboard aussi a dû travailler pour se fondre dans le moule. « Ce n’était pas gagné d’avance, car le skateboard est, par définition, une activité très libre, très peu normative. On était loin des sports traditionnels, aux règles très précises. Il a donc fallu acculturer les athlètes », se souvient Sébastien Sobczak, directeur technique national (DTN) à la Fédération française de roller et skateboard. Un travail de pédagogie a notamment été effectué pour faire connaître les règles de sélection.
« Il a fallu aussi expliquer que certains passages étaient obligatoires, comme venir aux championnats de France, pour se mesurer d’abord sur la scène française avant d’aller au niveau international. Et puis, au début, il a fallu faire respecter les horaires, expliquer le fonctionnement de la vie en groupe quand on se déplace en équipe de France. Il y a eu des réticences à respecter ce cadre », confie le DTN.
« L’idée de la fédération a été d’y aller progressivement et de ne pas s’attendre à ce qu’il y ait la même discipline qu’en natation, par exemple, où les athlètes ont déjà cette culture du club. »
Sébastien Sobczak, DTN à la Fédération française de roller et skateboard
Une réaction attendue de la part d’athlètes qui, pour beaucoup, ont commencé dans les skateparks en échangeant des tricks (figures) entre skateurs, sans cadre officiel. « Forcément, quand ils arrivent en équipe de France et que, d’un coup, on leur explique qu’il y a des règles, qu’il faut s’échauffer, se coucher tôt, suivre une diététique, porter une tenue équipe de France, ça a été un peu laborieux au début, car ce n’est pas leur culture. Mais maintenant, cela commence à entrer », poursuit Sébastien Sobczak. Cette adaptation peut se jouer sur des détails : « On va vraiment écouter le ressenti des athlètes, qui peuvent nous dire ‘je ne me sens pas à l’aise avec un polo cintré, je préfère un sweat à capuche’. Ce sont des petits détails qui ont leur importance et on essaie de s’adapter le plus possible », souligne-t-il encore.
Adaptation du CIO et des fédérations
Afin d’accorder ces deux mondes, chacun a dû faire des efforts. « Les skateurs ont accepté ce cadre pour coller à toutes ces règles de sélection. Mais ils étaient soucieux que les JO ne trahissent pas les codes, notamment graphiques et vestimentaires, de la culture skate. La fédération internationale a ainsi fait un pas vers eux, en proposant un circuit de compétition calqué sur le circuit professionnel », explique encore le DTN de la fédération. A la suite de ces changements, seulement 20% environ des skateurs ont choisi de rester dans une pratique libre, loin des Jeux. Aujourd’hui, Sébastien Sobczak l’assure, les skateurs « ont adhéré » au mouvement olympique.
Le Japonais Ayumu Hirano lors de l’épreuve masculine de skateboard park, aux Jeux olympiques de Tokyo, au Parc sportif urbain d’Ariake, au Japon. (KIM PRICE / SIPA)
Pour faciliter ce rapprochement des cultures, le CIO a aussi ajusté les formats, après les derniers Jeux, pour coller davantage à l’identité de ces disciplines. A Tokyo, un seul titre était décerné pour les grimpeurs à l’issue de l’épreuve combinée vitesse-bloc-difficulté. Cela a été modifié pour Paris 2024. « On a réussi à avoir une médaille en vitesse et une pour un combiné bloc-difficulté, qui sont beaucoup plus proches en termes d’entraînement que la vitesse. Mais on espère qu’à Los Angeles, on aura trois médailles », souligne Pierre-Henri Paillasson, DTN à la Fédération française de la montagne et de l’escalade. Idem pour le stakeboard, où le système de notation va évoluer afin de densifier le niveau.
Porter les couleurs de la France
Dans ces disciplines devenues olympiques, les athlètes ont endossé les attentes et les couleurs de leur pays de manière officielle. Là encore, un temps d’adaptation a été nécessaire : « D’habitude, on promeut plutôt des sponsors et des marques, qui sont très liées à la culture skate. Aux JO, on vient avec l’entité bleu-blanc-rouge. Il y a eu un petit choc des cultures », admet Sébastien Sobczak, qui assure qu’aujourd’hui, défendre le drapeau tricolore est entré dans les habitudes.
Le grimpeur français Bassa Mawem lors du combiné masculin d’escalade des Jeux olympiques de Tokyo au Parc sportif urbain d’Ariake, le 3 août 2021. (SEOKYONG LEE / SIPA)
« Les surfeurs ont vraiment découvert cette sensation au moment de la passation entre Tokyo et Paris au Trocadéro [lors du retour des athlètes de Tokyo en août 2021]. A ce moment-là, ils se sont rendu compte de l’engouement qu’il y avait autour de l’olympisme. Je sais que tous ceux qui étaient là ce jour-là ont eu un déclic », se souvient Jacques Lajuncomme.
« On concourt lors de championnats du monde, mais ce n’est pas la même chose. Aux JO, il y a une adhésion populaire, ce qui est très différent de ce que nous connaissons. »
Jacques Lajuncomme, président de la Fédération française de surf
A tel point qu’aujourd’hui, être champion du monde « n’est plus suffisant », appuie Jacques Lajuncomme. Au-delà de porter les couleurs nationales, devenir un sport olympique permet d’obtenir des aides et des financements orientés vers les athlètes olympiques. De quoi faire changer de dimension une discipline.
Ce sentiment d’appartenir à un nouveau monde se ressent dès le village olympique, lieu de vie de tous les athlètes. « D’ordinaire, sur nos compétitions, on est séparés et on ne se connaît pas tous. Aux Jeux, nous sommes une grande équipe de France, où tous les sports se retrouvent au même endroit, avec les mêmes tenues. Ce sentiment d’appartenance est décuplé », souligne le DTN de la Fédération française de la montagne et de l’escalade, Pierre-Henri Paillasson.
Des disciplines déjà conquises
A moins de six mois des Jeux de Paris, le constat est ainsi plus que satisfaisant, estiment les représentants de ces nouvelles disciplines. « Les Jeux ont permis de densifier le niveau, les scores augmentent, de nouvelles figures sont proposées et il y a moins de chutes. Plus largement, les Jeux structurent le skate dans le monde », reconnaît Sébastien Sobczak. « Ils nous ont permis de nous faire connaître plus largement au grand public. Les prises de licences ont énormément augmenté, passant de 3 000 à plus de 10 000 depuis Tokyo », se réjouit quant à lui Pierre-Henri Paillasson. Même pour les sportifs, le bilan est positif. « Etre athlète olympique permet de vivre plus facilement de notre sport. Des partenaires hors grimpe nous sollicitent, ce qui n’était pas le cas avant », admet le grimpeur Mejdi Schalck.
Le Brésilien Gabriel Medina lors d’une séance d’entraînement aux Jeux olympiques de Tokyo, le 24 juillet 2021, sur la plage de Tsurigasaki à Ichinomiya, au Japon. (FRANCISCO SECO / SIPA)
Si Jacques Lajuncomme applaudit la réussite du surf aux JO, il voit encore tout le travail qu’il reste à fournir pour atteindre le plus haut niveau. « Nous sommes encore dans une phase d’apprentissage. Mais, surtout, notre grande satisfaction est que nous intégrons véritablement à Los Angeles [en 2028] la grande famille olympique, puisque le surf devient un sport du programme initial. »
« Le symbole est fort, car nous sommes reconnus comme un sport authentique, et on ne peut plus dire des surfeurs qu’ils sont des charmants garçons de plage. Ce sont des athlètes à part entière. »
Jacques Lajuncomme, président de la Fédération française de surf
Quant au breaking, petit nouveau à Paris, si son expérience sera éphémère, elle aura toutefois été un tremplin pour la discipline. « On se projette sur l’après Paris 2024. Il y a tout un travail qui a été porté par la commission breaking au sein de la fédération sur un programme d’héritage et de développement de la discipline, qui s’appelle breaking 2032 », explique Abdel Mustapha, qui reconnaît toutefois une certaine « déception » de ne pas être à Los Angeles, alors même que le breaking est né aux Etats-Unis. « Toutefois, on entend qu’il y a de fortes chances que le breaking revienne à Brisbane en 2032, ce qui pourrait rapidement relancer la machine », glisse-t-il.
Source : www.francetvinfo.fr