Si la France obtient de bons résultats dans les compétitions de haut niveau, peut-on la qualifier de nation de sport ? L’école a-t-elle les moyens d’y poser les bases d’une réelle culture sportive ?

Décrétée « Grande cause nationale » en France, la promotion de l’activité physique et sportive s’inscrit plus largement dans l’idée de « faire Nation par le sport ». Selon le site britannique « Greatest Sporting Nation », en prenant en compte les résultats lors de grandes compétitions internationales dans 75 disciplines, la France se classait en 2023 en deuxième position des « nations sportives ».

Cependant, si l’Hexagone se distingue dans le sport de haut niveau, qu’en est-il de l’accessibilité à tous et à toutes des différentes disciplines ? Certains champions olympiques, tels que Teddy Riner ou encore Florent Manaudou, ont déclaré que « la France n’est pas un pays de sport ». Ils pointent notamment le manque de reconnaissance dont bénéficie la culture sportive et jugent insuffisant le nombre d’heures de cours d’Éducation physique et sportive (EPS).

Comment définir alors une Nation sportive ? Évaluer la culture du sport d’un pays par ses résultats dans les compétitions de haut niveau semble réducteur. La notion de culture est bien plus large et renvoie à un ensemble de normes et de valeurs partagées par une population – dans tous les secteurs de la vie sociale, et notamment à l’école.

La fin d’un modèle centré sur la compétition ?

Historiquement, la France figure à la cinquième place des nations les plus médaillées aux Jeux olympiques. Comparativement à sa population totale, elle a un ratio très élevé en termes de résultats sportifs et de médailles au niveau international.

Les politiques sportives en France se sont construites en référence au modèle de la pyramide coubertinienne, consistant à élargir la masse de pratiquants dans le but de favoriser l’émergence d’une élite sportive.

Les disciplines sportives présentées aux Jeux olympiques et paralympiques reflètent-elles la réalité de la place du sport dans la société française ?

Actuellement, le modèle de la compétition ne correspond plus aux attentes des jeunes. Selon les chiffres de l’INJEP, seulement 10 % des 15-29 ans déclarent pratiquer une activité sportive pour des motifs liés à la compétition et à la performance. Leur engouement pour des pratiques plus ludiques, plus conviviales, autour du bien-être et de la santé, est un marqueur d’une société aspirant à un autre modèle.

L’âge d’or du sport fédéral qui reposait majoritairement sur une seule discipline, tournée vers la compétition et la performance, est désormais révolu. Depuis le début du XXIe siècle, les jeunes préfèrent la multipratique et le zapping sportif. L’idée d’une activité désintéressée centrée sur le plaisir de pratiquer ensemble plutôt que de s’affronter – sans gagnant ni perdant – bouscule le modèle sportif traditionnel. La définition d’un « pays de sport » est alors liée à l’évolution de la société et des modes de vie.

L’émergence du « sport-santé »

La lutte contre la sédentarité est aujourd’hui un objet de santé publique et les savoirs médicaux sont convoqués pour appuyer des discours hygiénistes – « Bouger chaque jour » – autour des bénéfices d’une pratique physique régulière.

À l’occasion des Jeux de Paris 2024, les politiques souhaitent mobiliser la jeunesse à travers le développement de la pratique sportive. Un décrochage significatif et une désaffiliation au sein des structures fédérales s’observent à l’adolescence. Malgré une augmentation du nombre de sportifs en France, la pratique sportive reste très marquée socialement et en fonction du genre.

Découvrir des disciplines sportives à l’école (France 3 Grand Est, mars 2023).

L’organisation d’un grand évènement sportif n’est pas une condition suffisante pour favoriser l’engagement à long terme d’une population dans une activité physique et sportive. Aussi, les effets positifs sur l’activité physique à long terme se poseront comme un indicateur de réussite des Jeux de Paris et de son héritage pour la population.

Les fédérations sportives se saisissent aujourd’hui des enjeux du « sport-santé », en développant de nouvelles activités. Elles peuvent être assimilées à des prestataires privilégiés dans la lutte contre la sédentarité, s’éloignant alors de leur rôle de passeurs culturels à destination des sportifs licenciés.

Développer une culture sportive : un enjeu pour l’école ?

Le sport est reconnu par l’Organisation des Nations unies (ONU) comme un élément de culture et sa promotion relève d’un argument de démocratisation. La Charte de l’Unesco déclare que l’accès à l’éducation physique et au sport (EPS) est un droit fondamental pour tous. Elle se positionne ainsi en faveur d’une éducation physique de qualité et de son inclusion dans les politiques publiques.

Avec trois heures d’EPS, la France fait partie des pays européens accordant le plus d’heures à cette matière à l’école élémentaire. Dans la réalité, le temps effectif qui lui est consacré est moindre – environ 1h50 – pour partie lié au trajet des élèves vers les installations sportives. D’autres raisons peuvent être évoquées : le poids des « fondamentaux » (français, mathématiques) dans les programmes, ou encore la baisse des heures d’EPS en formation initiale pour les futurs professeurs des écoles.

Le système éducatif français semble encore effectuer une forme de hiérarchisation entre la culture intellectuelle et la culture corporelle, un dualisme cartésien entre le corps et l’esprit.

D’un point de vue culturel, les apprentissages en EPS peinent à être considérés comme fondamentaux pour l’épanouissement de l’enfant et le développement de compétences psychosociales (être solidaire en sport collectif, gérer ses émotions en escalade, etc.).

Or, il a été démontré que les contextes émotionnels associés à l’engagement corporel en EPS permettent de développer des compétences psychosociales chez l’élève.

L’accès à une culture sportive et corporelle commune passe par le renforcement de l’EPS à l’école, permettant l’émancipation de tous les élèves. Pour l’historien de l’EPS et du corps Georges Vigarello, « l’objectif de l’école, ce n’est pas tellement de faire que des performances soient réalisées par les élèves mais de faire en sorte qu’une éducation soit dispensée ».

Cette ambition rejoint l’idée de « littératie physique », considérée comme la fondation d’une vie physique active, saine, durable et solidaire. Pour rendre ce projet réalisable, l’EPS à l’école pourrait en être le pilier de la maternelle à l’université.

Source : theconversation.com – Guillaume Dietsch – Enseignant en STAPS, Agrégé d’EPS, UFR SESS-STAPS, Université Paris-Est Créteil, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)