Longtemps considérée comme incompatible avec une carrière sportive intense, la maternité s’impose désormais comme un sujet central dans le monde du sport de haut niveau. De plus en plus d’athlètes choisissent de mener de front vie familiale et ambitions sportives, mettant en lumière des enjeux physiologiques, sociaux et professionnels encore trop peu connus. Entre défis et avancées, la maternité rebat les cartes des carrières féminines dans l’élite sportive.

Les sportives de haut niveau et professionnelles sont de plus en plus nombreuses à faire le choix d’avoir un ou plusieurs enfants au cours de leur carrière : Téléchargez le guide Sport de haut niveau et maternité c’est possible

Découvrez-ci dessous un article de France Info Sport :

 

« Je ne sais pas quelle personne je serai après »… Le congé maternité, un acquis qui ne règle pas tout pour les handballeuses françaises

Avec Estelle Nze Minko, Chloé Valentini et Laura Flippes en congé maternité, soit trois cadres de l’équipe de France, le handball français continue d’affirmer ses progrès pour permettre à ses sportives de haut niveau de mener une grossesse pendant leur carrière de sportive de haut niveau.

« Le monde politique français a pour but d’intégrer des sportifs de haut niveau, notre mission est, semble-t-il, de mettre quelques joueuses en couveuse« , plaisantait en septembre Sébastien Gardillou, le coach de l’équipe de France de handball. Pour la première fois, trois cadres tricolores se trouvent en pause maternité en même temps : la capitaine Estelle Nze Minko, Chloé Valentini et Laura Flippes, 348 sélections à elles trois. « C’est une très bonne nouvelle pour elles et très belle pour le handball français », se réjouissait-il. Mais un vrai casse-tête pour les remplacer à l’occasion du Mondial qui débute aux Pays-Bas et en Allemagne, mercredi 26 novembre, même si « l’équipe de France peut compter sur son vivier d’athlètes« , relativise le sélectionneur.

Pour ces joueuses, pouvoir s’arrêter pour donner naissance à leur enfant, sans perdre leurs avantages contractuels, est le résultat récent de plusieurs années de lutte de véritables pionnières telles que Nina Kanto, Camille Ayglon-Saurina ou encore Laura Glauser. Cette dernière, blessée aux cervicales et forfait pour la compétition, confiait en septembre sa joie de voir se multiplier les arrêts grossesse pendant la carrière. « Le handball s’ouvre enfin à ça. Je ne comprends pas comment ça a pu être un obstacle auparavant, car c’est un plus pour la joueuse mais aussi pour l’équipe de France, pour le hand en fait« , assurait-elle. 

Des années 2010 à la signature d’une convention collective en 2021 dans le championnat professionnel français, le handball tricolore a ouvert la voie à un droit légitime et largement commun dans n’importe quel milieu professionnel. Non sans mal pour ces sportives de haut niveau qui bénéficient aujourd’hui d’accompagnement et de soutien, malgré de nombreuses contraintes encore présentes.

Une voie semée d’embûches

« J’avais vraiment la volonté que mon club accepte mon projet familial, confie Estelle Nze Minko (165 sélections) auprès de franceinfo: sport. C’était une condition non négociable pour rester ». A écouter la capitaine des Bleues, joueuse du club de Gyor en Hongrie depuis 2019 et double vainqueure de la Ligue des champions (2024, 2025), prendre un congé dans sa carrière pour mener à bien une grossesse semble la norme aujourd’hui. « Dès le début de l’année, j’ai appelé le sélectionneur de l’équipe de France pour lui faire part de mon projet de l’année à venir : avoir un bébé« , raconte-t-elle. Pour elle, il était hors de question de ne pas partager sa volonté.

« J’ai voulu lui dire assez tôt pour qu’il puisse s’organiser, notamment parce que j’étais capitaine. Ça fait longtemps que je fais partie de cette équipe et que j’y occupe une place importante. Je ne voulais pas le planter en octobre au bout d’une saison complète de travail avec un groupe juste avant le Mondial. »

Estelle Nze Minko, capitaine de l’équipe de France, en congé maternité

à franceinfo: sport

En club comme en sélection, la démarche n’est pourtant pas si aisée. Si la convention collective des joueuses dans le championnat français les protège depuis 2021, à l’étranger, les droits sont variables sur le sujet. « Je ne connais pas la politique des autres clubs hongrois, mais à Gyor, ils ont pris cet engagement depuis plusieurs années déjà », explique la joueuse de 34 ans. Quatre joueuses de l’effectif sont actuellement en pause grossesse cette saison, dont Estelle Nze Minko et la championne norvégienne Stine Oftedal, en cours de reprise après avoir accouché cet été. La Française, qui a renégocié son contrat en 2024, a signé pour trois ans plus une année en option. « Le club a la volonté que, même après ma grossesse, je fasse toujours partie du collectif« , se réjouit-elle.

Metz, le modèle français

C’est le cas également pour ses deux coéquipières en bleu, Chloé Valentini, maman d’une petite fille depuis le mois de septembre et Laura Flippes, qui a accouché de jumeaux il y a un mois. Toutes deux évoluent sous les couleurs de Metz Handball, l’ogre du handball féminin tricolore avec 27 titres (depuis 1989) de championnes de France. Le club lorrain, symbole de l’excellence hexagonale, est aussi en pointe concernant le droit à la maternité de ses joueuses. Nina Kanto en 2010, Laura Glauser en 2017, la Néerlandaise Ailly Luciano en 2018, Valentini et Flippes cette saison, toutes ont choisi de faire une pause maternité dans leur carrière lors de leur passage en Moselle.

« C’est un immense bonheur pour le club, la famille et tout le monde. Bien évidemment, c’est la plus belle chose qui puisse arriver« , se réjouit Thierry Weizman, président de Metz handball depuis deux décennies. Mais celui qui est aussi le médecin des Dragonnes admet que ce choix du club, qui revendique son côté « familial« , a un coût non négligeable, tant financier que sportif.

« A Metz, on maintient les avantages – voiture et appartement de fonction – ainsi que le salaire sur la totalité de l’absence des nos joueuses, et on met à disposition durant toute la grossesse et après, tous les moyens qu’on a : kinés du club, prépa physique, salle de musculation, installations sportives, etc ».

Thierry Weizman, président de Metz Handball

à franceinfo: sport

Sans compter le recrutement de joueuses pour les remplacer, aux mêmes conditions matérielles que les absentes. « Le club assume tout« , résume-t-il. Car si la convention collective signée en 2021 a apporté des garanties aux joueuses, pour les clubs, la donne est tout autre. Avec un congé prénatal indemnisé par l’Assurance maladie de six semaines et huit semaines en post-natal, l’arrêt prévu ne prend pas en compte les spécificités du sport de haut niveau, et notamment d’un sport de contacts comme le handball.

« Aujourd’hui, les joueuses ne vont plus au-delà du troisième mois de grossesse, fait remarquer Emmanuel Mayonnade, coach de Metz depuis 10 ans, interrogé par franceinfo: sport. Par exemple, Chloé s’est arrêtée à deux mois, Laura Flippes aussi. Et c’est le même principe sur l’après-grossesse où on ne peut pas, décemment, imaginer qu’elles vont retrouver un niveau compétitif très vite », décrit-il. « Les joueuses ont des indemnités journalières plus élevées quand elles sont en arrêt maladie qu’en congé maternité« , souligne Thierry Weizman. C’est donc le club qui complète pour que ses handballeuses soient payées à 100%.

« Surtout il faut s’en accommoder »

Sur le plan sportif aussi, l’équation n’est pas simple. « C’est très dur pour la structure de pouvoir se retourner et de trouver quelqu’un qui peut remplacer ces joueuses-là », insiste l’entraîneur lorrain. Malgré la grande transparence qui existe entre les joueuses et le club, le timing de la grossesse ne peut pas se prévoir totalement. « A l’époque, Laura Glauser s’était entendue avec le président et avait fixé une temporalité pour tomber enceinte, afin d’être revenue à temps pour jouer l’Euro 2018 en France, se remémore-t-il pour franceinfo: sport. Durant l’été 2017, on avait travaillé sur des jokers médicaux, à trois reprises, on avait lancé des discussions mais qu’on avait dû interrompre car Laura n’était pas enceinte ». Finalement, la gardienne de but, deux jours avant la date butoir qu’elle s’était fixée, avait annoncé sa grossesse au club. « A ce moment-là, on avait perdu toutes nos pistes« , se souvient Emmanuel Mayonnade, qui ajoute que « le club aimerait faire encore plus sur ce terrain-là« .

Car permettre à ses joueuses, qui le désirent, d’avoir un enfant pendant leur carrière est un gage de sérénité, mais aussi d’engagement. « Quand elles reviennent de grossesse, les joueuses sont plus sereines et apportent cette sérénité au groupe, constate Thierry Weizman. Et elles manifestent aussi de la reconnaissance pour le club. C’est tout bénéfice pour l’équipe professionnelle d’avoir des joueuses qui ont eu cette expérience-là« , affirme-t-il. 

« Avoir ma fille m’a pleinement comblée en tant que femme, et j’ai ensuite pu pleinement me concentrer sur ma carrière, avancer avec ma fille à mes côtés sans me préoccuper de mes désirs de maternité. Et elle m’aide à relativiser. »

Laura Glauser

en conférence de presse

A Metz, le président Weizman a pour projet de créer une crèche dans les Arènes et veut profiter de la trêve internationale pour évaluer la faisabilité et le budget. « Il faut voir si je peux louer une salle et embaucher du personnel compétent pour garder des nourrissons, sur des horaires assez complexes, peut-être deux heures le matin et deux heures le soir« . Il souhaite ainsi réparer une « inégalité assez incroyable » à ses yeux en permettant aux joueuses d’avoir leur enfant sur leur lieu de travail, « comme dans une grande entreprise qui propose une salle de sport, une garderie« . 

Encore du chemin à parcourir

Une avancée qu’Emmanuel Mayonnade valide à 100% : « Aujourd’hui, je pense que 80 à 90% des joueurs de plus de 25 ans dans le championnat français sont pères d’un ou plusieurs enfants. Et la propension chez les féminines est épouvantable, pose l’entraîneur messin. Celles qui ont l’aspiration personnelle de devenir mères ne sont pas encore suffisamment accompagnées, et la peur de perdre le contrat ou de ne pas retrouver la forme est encore trop importante« , affirme-t-il. Choisir de faire un bébé pendant une carrière de haut niveau, qui dure généralement entre 15 et 20 ans seulement, n’est pas si simple pour les sportives.

« Notre métier prend tellement de place que c’est difficile de penser à ses projets persos, même pour THE projet perso. Je savais que je voulais être maman un jour mais là, c’est un peu un saut dans le vide parce que je ne sais pas comment je vais revenir. C’est tellement propre à chaque femme la grossesse, l’accouchement. Je ne sais pas quelle personne je serai après. »

Estelle Nze Minko

à franceinfo: sport

Pour la capitaine tricolore, ce choix implique donc de laisser la place aux doutes, à l’absence de contrôle. « J’ai réalisé à quel point au quotidien j’évoluais dans un milieu où j’ai besoin de contrôler les choses à un niveau presque irrationnel, confie-t-elle. J’ai la chance à Gyor d’avoir trois de mes coéquipières en pause grossesse comme moi, dont une dans le même timing mais pour qui c’est la deuxième fois. » En contact avec ses partenaires de l’équipe de France, et avec d’autres sportives, qui se sont lancées dans l’aventure de la maternité, elle se réjouit de vivre à cette période « où on peut partager tout ça et où c’est plus simple pour les handballeuses comme moi« .

 

Source : Franceinfo.fr