Sabrina Sebaihi, accompagnée de Béatrice Bellamy, le 23 janvier 2024, à l’Assemblée nationale. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS)
« On a mis la poussière sous le tapis le temps des JO en disant ‘ne bougez pas, après les JOP, on va tout régler’« . La rapporteuse de la commission d’enquête sur les dysfonctionnements des fédérations sportives, Sabrina Sebaihi, députée Nouveau Front Populaire (NFP) réélue en juin, attend le gouvernement de pied ferme sur la question de la gouvernance du sport français alors que les élections se profilent pour désigner les nouvelles têtes pensantes.
Féminisation, démocratisation… Le vœu pieux d’un changement profond avait vite été mis de côté en janvier à la publication du rapport de 260 pages, à la veille des Jeux olympiques et paralympiques organisés à Paris cet été. Désormais, alors que l’escrime, qui a vécu des mois difficiles malgré les sept médailles olympiques remportées, est une des premières fédérations à ouvrir le bal des élections le 11 octobre, Sabrina Sebaihi fourbit ses armes pour mener à bien cette réforme visant à lutter efficacement contre les violences sexuelles et sexistes, les atteintes à la probité et les discriminations en tout genre, qui entachent le bilan de nombre de fédérations sportives.
Elle a répondu aux questions de franceinfo: sport. :
INTERVIEW
Franceinfo: sport : Les préconisations du rapport de janvier 2024 ont-elles été prises en compte et suivies ?
Sabrina Sebaihi : Suite au rapport de la commission, il y a eu un premier texte adopté au Sénat sur le renforcement du contrôle des bénévoles, avec l’obligation de fournir son casier judiciaire. Mais alors qu’on a effectué une tournée dans plusieurs villes, avec la présidente de la commission (Béatrice Bellamy, députée Horizons) pour présenter nos travaux et informer les clubs, on s’est rendu compte sur le terrain qu’il n’y avait eu que peu de formations, que les directives étaient restées dans les cartons, que les fédérations ne les transmettaient pas.
Comme on nous avait promis une loi héritage juste après les JOP, on a patienté avant de déposer des textes et y inclure nos préconisations. Sauf que pour l’heure, on ne voit rien venir. J’ai d’ailleurs commencé à rédiger quelques propositions de loi, en lien avec le rapport de la commission d’enquête. Et notamment sur l’un des éléments les plus importants : la création de l’autorité administrative indépendante, qui était une forte demande des acteurs et de certaines fédérations.
C’est un texte qui va probablement arriver dans les prochaines semaines. La proposition était partagée par tout le Nouveau front populaire (NFP), plus la majorité présidentielle et LR, donc je me dis que c’est un texte qui pourrait passer. A l’époque, la ministre (Amélie Oudéa-Castéra) refusait totalement d’en entendre parler.
Avez-vous pris contact avec le nouveau ministre des Sports, Gil Avérous ?
Pas encore. J’ai été très surprise, pour ne pas dire un peu en colère, à propos de son intervention lors de la passation. J’étais vraiment choquée qu’il puisse dire « je ne suis pas là pour révolutionner les choses » alors qu’on sort d’une année où les signalements n’ont pas arrêté de pleuvoir. J’en reçois sans cesse. Il ne peut pas dire qu’il n’y a pas besoin d’une révolution. Tous les dirigeants, qui ont fermé les yeux pendant des années sur des agressions signalées, ne sont plus légitimes à se présenter. J’ai parlé de culture de l’omerta et pour la combattre, il faut changer les gens qui sont à sa tête.
Quand je vois tous les sortants qui sont candidats, je me demande toujours comment ils vont arriver à la parité. Il n’y a que des hommes qui sont candidats, hormis à la boxe. J’ai l’impression qu’ils n’ont vraiment pas compris. Il y a encore beaucoup de critiques sur la commission d’enquête. Six ou sept concernés par des instructions ouvertes pour parjure, dont Gilles Moretton, candidat à sa propre réélection à la tête de la FFT et qui a menti lors de son audition devant la commission d’enquête, figurent parmi les candidats. Je suis donc très surprise par le discours du nouveau ministre des Sports.
Que faire de la plateforme signal-sports, qui permet de signaler tout type de violence dans le sport ?
On souhaiterait qu’elle soit confiée à l’autorité administrative indépendante. Elle serait détachée du ministère. Et puis, aujourd’hui, signal-sports, c’est trois personnes. On a besoin de plus de personnel. L’an dernier en septembre quand on l’a auditionnée dans le cadre de la commission d’enquête, elle avait recueilli plus de 600 signalements sur l’année 2023. Il faut plus de monde pour effectuer les contrôles, contacter les fédérations. Gérer ce flux,.c’est un travail énorme. Il faut renforcer le dispositif humain, c’est une nécessité mais pour l’heure, on n’a pas du tout été écoutés.
On déposera donc ces propositions soit sous forme d’amendement au moment des débats et du vote du PLF (projet de loi finance, qui définit le budget de l’Etat pour 2025), soit on verra au moment de la proposition de loi sur l’autorité administrative indépendante, comment on peut intégrer la question des moyens humains.
Des voix s’élèvent pour la fermeture de l’Agence nationale du sport. Qu’en pensez-vous ?
Aujourd’hui, l’ANS finance les fédérations, ce qui, avant sa création en 2019, était dévolu au ministère des Sports. Il avait donc un moyen de pression sur elles et pouvait, si elles ne rentraient pas dans les clous, couper les subventions, leur retirer leur délégation. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et au passage, on crée une entité supplémentaire qui coûte de l’argent, en délestant le ministère des Sports d’un rôle essentiel qui est celui de tutelle.
Ceux qui défendent l’ANS vous diront qu’elle apporte des médailles. Je suis plutôt en faveur de sa suppression pour redonner des prérogatives au ministère des Sports ainsi qu’aux grands organismes, comme l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), qui permettent de former des champions qui, demain, iront gagner des médailles.
Source : www.francetvinfo.fr/sports