En annonçant une parité parfaite sur les quelque 10.000 athlètes sélectionnés, Paris 2024 insiste sur sa volonté de tendre vers une égalité entre femmes et hommes. Mais s’en donne-t-il vraiment les moyens ?

• Les Jeux olympiques de Paris 2024 se présentent comme étant les premiers Jeux paritaires, mais cet objectif d’égalité femme-homme est mis en avant à chaque édition depuis 2004.

• Malgré les avancées en matière de parité en ce qui concerne le nombre d’athlètes et de volontaires sélectionnés, certains voient cette parité comme une simple stratégie de communication plutôt qu’un véritable engagement en faveur de l’égalité femme-homme.

• Les instances dirigeantes du sport restent majoritairement composées d’hommes, et il y a encore des disparités en ce qui concerne certains sports, tels que la boxe. La médiatisation est aussi un terrain où les avancées sont laborieuses.

« On avance doucement, peut-être trop doucement. Peut-être que le Cojop aurait pu mettre un accent plus fort sur l’égalité femme-homme. Peut-être oui ». L’aveu vient directement d’Evelyne Ciriegi, membre du Cojop de Paris 2024 et présidente du Comité Régional Olympique et Sportif (CROS) Île-de-France. « Pour l’édition 2024, le Cojop a beaucoup communiqué sur le fait que ce soient les premiers Jeux paritaires. Or on retrouve ce discours depuis 2004 », regrette Sandy Montanola, maîtresse de conférences à l’université de Rennes 1, spécialiste des inégalités femme-homme dans les médias, notamment dans la médiatisation du sport.

Alors en ce 24 janvier, journée internationale du sport féminin, 20 Minutes hésite entre se réjouir de la parité concernant les quelque 10.000 athlètes pour les JO et les volontaires sélectionnés ou dénoncer du gender washing. « N’est-ce pas une façon d’anticiper les critiques sur les coûts économiques et écologiques d’un tel évènement que d’annoncer un héritage social où l’égalité femme-homme occupe une place importante ? », s’interroge Sandy Montanola.

Les JO, une histoire sportive relativement masculine

Car les sujets d’égalité femme-homme sont dans l’air du temps, ils ont pénétré profondément la société actuelle. Pour Sandy Montanola, qui rappelle que lors de la dernière édition à Tokyo, il y avait 48,8 % d’athlètes féminines pour 51,2 % d’hommes et que le ratio était de 45-55 à Rio, en 2016, « le nombre de femmes participantes aux JO n’a cessé d’augmenter au fil des éditions depuis plus d’un siècle. Ce n’est pas le fruit d’un intense travail de Paris 2024 ».

Le saviez-vous ? En 1900, pour la première fois, des femmes participent aux Jeux olympiques. Elles sont 22 pour 975 hommes, disposent d’épreuves à elles en tennis et golf et sont acceptées dans les épreuves mixtes de voile, croquet et équitation. Sur les terrains olympiques, les femmes semblent donc avoir gagné leurs galons. Mais il reste des angles morts.

Des instances toujours dirigées par des hommes

C’est notamment le cas des instances dirigeantes. En France, sur les 36 fédérations de sport olympique, quatre sont dirigées par des femmes et la loi sur la démocratisation du sport datant de mars 2022, précise dans l’article 29, que « la parité femme-homme dans les instances dirigeantes des fédérations sportives doit être en place en 2024 ». Paris 2024 n’a a priori pas souhaité anticiper ce mouvement.

« Je suis déçue que ceux qui prennent les décisions au sommet du Cojop soient majoritairement des hommes : on y compte un tiers de femmes pour deux tiers d’hommes et une double tête pensante exclusivement masculine avec Tony Estanguet et Etienne Thobois, comptabilise Béatrice Barbusse, autrice de Du sexisme dans le sport et vice-présidente déléguée à la fédération française de handball. C’est une inégalité flagrante ».

Autre point discutable : la désignation de deux hommes, Jackson Richardson et Michaël Jeremiasz, respectivement chefs de délégation olympique et paralympique français. « Pourquoi ne pas avoir pris un homme et une femme pour les JO et pareil pour les Paralympiques alors que ces fonctions sont censées être bénévoles ? »

Des avancées relatives

Revenons sur les terrains où donc il y aura autant de femmes que d’hommes, enfin pas dans tous les sports. « Les organisateurs célèbrent un choix assez limité d’indicateurs », souligne Sandy Montanola. En effet, pour la boxe, les candidates à une médaille olympique seront moins nombreuses que leurs homologues masculins. Le site des Jeux olympiques précise : « lors des Jeux olympiques de Paris 2024, 13 catégories de poids seront disputées en boxe. Conformément à la volonté du Comité international olympique (CIO) d’atteindre la parité hommes femmes, le nombre de catégories sera plus équilibré que jamais : sept chez les hommes, six chez les femmes. Il y aura une catégorie hommes de moins par rapport à Tokyo 2020, tandis que deux catégories femmes supplémentaires sont au programme des prochains Jeux. »

«La boxe ne correspondait pas avec l’idée de la féminité, qui était associée à la violence. C’est d’ailleurs un des sports qui s’est ouvert le plus tardivement aux femmes, rembobine Sandy Montanola. On peut aussi citer l’exemple du 800 mètres en athlétisme, autorisé aux femmes sur l’édition de 1928, puis interdit jusqu’en 1960, parce qu’elles étaient trop faibles pour disputer une épreuve aussi dure ».

A la manœuvre de ces décisions : le comité olympique international (CIO), lequel affiche lui aussi quelques volontés en faveur de l’égalité femme-homme. Notamment en imposant aux organisateurs d’alterner à chaque édition, les finales féminines et masculines des sports collectifs sur le dernier week-end de compétition. « Avant Tokyo, pour les sports co, les filles jouaient leur finale le samedi et les garçons le dimanche après-midi, jour où il y a plus de monde devant la TV, explique Béatrice Barbusse. Mais en 2021, les handballeurs français ont remporté le titre olympique le samedi et les femmes le lendemain ». L’occasion pour les Bleues d’avoir une meilleure médiatisation ? Pas si on considère la Une du journal L’Equipe le lendemain, qui a préféré célébrer l’arrivée de Messi au PSG, une actu qui a parasité la fin des JO.

Une médiatisation à la traîne

« Il ne suffit pas qu’il y ait plus de femmes pour qu’elles aient plus de médiatisation. Pour une femme, pour être médiatisée, il faut pratiquer un sport populaire, appartenir à un pays populaire et accéder à la finale, alors que pour les hommes, c’est plus diversifié, constate la spécialiste des inégalités femme-homme dans les médias. « Pour les femmes, on a besoin qu’elles soient déjà dans une dynamique de résultats de niveau mondial pour qu’on s’y intéresse alors que les hommes, on ne ressent pas ce besoin », ajoute Evelyne Ciriegi, qui plaide « pour qu’on retransmette autant les compétitions femmes que hommes à la TV lors de ces JO ». Sollicité, le groupe France Télévision n’a pour l’heure pas dévoilé son plan de retransmission.

Des solutions connues mais pas appliquées

Autre sujet épineux, le prix des places en fonction du genre. « Fallait-il mettre les mêmes tarifs sur les places dans un même sport hommes et femmes confondues et risquer que certains billets ne se vendent pas ou au contraire adapter les prix en fonction de la demande pour être sûr que tous aient un public ? », s’interroge Sandy Montanola. Sans doute entre les deux, une option pour laquelle le Cojop a œuvré. On a finalement trouvé plus de différences entre les épreuves dans les sports avec catégories de poids comme au judo, où pour voir les poids lourds, il faudra débourser plus pour les deux sexes.

Même si le rugby à sept et le basket affichent quelques différences de prix entre les femmes et les hommes à niveau de compétition égal, finalement, le ressenti du spectateur est sans doute dû au fait que les billets pour les compétitions hommes se sont arrachés plus vite et qu’il restait plus de place pour voir des épreuves de femmes. A noter que seules les finales de gymnastique artistique féminines se sont arraché plus cher que les finales masculines, 125 euros contre 100 en catégorie D.

L’organisation a misé sur l’après pour faire progresser l’égalité femme-homme avec un budget de 50 millions d’euros dédié à l’héritage. « On connaît les pistes pour une égalité dans le sport mais personne n’écoute. On sait qu’il faut une égalité dans les structures d’organisation, qu’il faut un suivi pour éviter les violences sexuelles et sexistes qui sont favorisées par certaines structures en place. Sauf qu’on tient un discours mais on ne s’engage pas vraiment », regrette l’experte des inégalités femme-homme dans les médias. Ou alors seulement à moitié.

Source : www.20minutes.fr